Une illustration inédite de
Kimié, la charmante héroïne
de Tôkyô est mon jardin
Une trè belle page extraite
de Miyamoto kara kimi e,
de Hideki ARAI : Une vision
vivante du Japon moderne
et de ses habitant(e)s
Couverture de Éro-mala
(les Maladies érotiques),
un des récents ouvrages
de Naito YAMADA
Entretien avec
Frédéric Boilet
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BD est faite pour être consommée, un point c'est tout ! ». Voilà comment, pour ce genre d'énergumènes, une œuvre ne doit pas s'adresser à des lecteurs ou à des spectateurs, mais seulement à des « consommateurs ». Ou, à la rigueur à des veaux.
AL : Votre intérêt pour la BD japonaise, aux antipodes des titres qui, traduits en français, représentent aux yeux de notre grand public l'ensemble de la production japonaise, va vers ce que vous désignez comme manga "d'auteurs". Pouvez-vous nous présenter quelques-uns de ces dessinateurs encore méconnus hors du Japon ?

FB : En matière d'alignement éditorial, le conformisme des éditeurs japonais vaut bien celui de leurs confrères français... Il y a un moment que j'ai cessé de lire les productions standardisées de Glénat ou Delcourt, ce n'était tout de même pas pour me jeter sur le tout-venant grand-public de leurs homologues nippons ! Dès mon arrivée au Japon, mes goûts m'ont tout naturellement portés vers une production alternative, ici particulièrement vivace et développée, comme celle que l'on trouve depuis plus de trente ans dans l'étonnante revue « Garo », ou dans des magazines plus récents comme « Comic Cue » ou « Store ».
L'un des maîtres de cette BD japonaise est Yoshiharu TSUGE, c'est l'un de mes auteurs préférés. Parmi les albums que j'ai pu lire ou feuilleter, deux m'ont franchement emballé : Tonari no Onna (la Femme d'à côté) et Munô no Hito (l'Homme sans talent), ce dernier album ayant fait l'objet d'une adaptation cinématographique très réussie (c'est plutôt rare, en général, les bonnes BD font de mauvais films, et vice versa...) de l'acteur réalisateur Naoto TAKENAKA, curieusement lui aussi ignoré en France.
Mes amis Jirô TANIGUCHI, Yôji FUKUYAMA et Sen ARIMURA sont trois autres sensei de cette BD japonaise. Si par chance, deux albums du premier ont été traduits chez Casterman (mais j'attends avec impatience les traductions de la série « Botchan » no jidai et du magnifique Chichi no Koyomi (2), à

mes yeux le chef d'œuvre de TANIGUCHI...), il faut peut-être préciser que la richesse, la folie de l'œuvre du second dépasse de loin son seul album accessible en France, Don Giovanni...
Quant à Sen ARIMURA, auteur reconnu mais à la diffusion confidentielle au Japon, j'ai bien peur qu'il n'ait jamais accès au marché français. Il a pourtant un regard inédit et précieux sur le Japon dans ses Kamagasaki Doyagai Manga Nikki (Notes dessinées sur Kamagasaki) qui, dans la tradition du yon-koma (strips en quatre cases) et depuis plus de dix ans, décrivent le quotidien des travailleurs journaliers et des sans-logis des bas-fonds d'Ôsaka...
Parmi les auteurs de la jeune génération alternative, j'aime tout particulièrement les histoires de Naito YAMADA, une dessinatrice bien décalée que j'ai découverte dans « Comic Cue »... Et tente de suivre à la trace depuis ! Mais je pourrais également citer une flopée d'auteurs plus formidables les uns que les autres, et parmi eux Yoshitomo YOSHIMOTO, Usamaru FURUYA...
Je ne terminerai pas sans parler de Hideki ARAI, un jeune auteur d'une BD japonaise plus commerciale, mais qui m'a fait découvrir, par un
électrochoc, la force des manga, avec les premières pages de Miyamoto kara kimi e (3).
À cette époque, j'étais boursier choyé de Kôdansha et trouvais chaque semaine dans ma boîte aux lettres le nouveau « Morning ». Je n'y prêtais pourtant qu'une attention toute relative et feuilletais d'un regard distrait les manga des auteurs japonais qui ne m'enthousiasmaient guère, pour ne m'arrêter qu'aux pages de Pierre et ses amis qui publiaient des auteurs européens plus familiers. Mais une vingtaine de pages devaient définitivement changer ma vision : celles d'une scène de viol comme je n'en avais jamais lue. Je tournais les pages terrifié, découvrant au fil des cases que l'on pouvait souffrir à la lecture d'une bande dessinée, en l'occurrence japonaise. Visuellement, la scène était bien sûr insoutenable, mais elle l'était surtout tactilement. Par une maîtrise époustouflante de son dessin et de sa narration, ARAI parvenait à me faire ressentir non seulement la violence de la scène mais aussi la terreur et la douleur de la jeune fille.
Il m'aura fallu cette scène choc pour comprendre, admettre, que la bande dessiné japonaise ne se contente pas, comme son homologue franco-belge, de donner à voir et un peu à entendre, mais qu'elle sait aussi transmettre les sensations de chacun des autres sens que sont le toucher, le goût et l'odorat...
AL : Vous manifestez également un intérêt certain pour le cinéma d'animation. Quel regard portez-vous sur cette forme d'expression, si proche de la BD dans le ghetto stylistique qu'on lui impose encore aujourd'hui ?

FB : J'ai eu la chance d'être enfant dans les années 60, c'est à dire pendant la plus belle, la plus grande époque DISNEY. À quatre ou cinq ans, j'ai ainsi vu mon premier dessin animé de cinéma, en salle, lors de sa sortie, et il s'agissait de Peter Pan ! Ma vie d'enfant et d'adolescent fut donc rythmée par ces chefs-d'œuvre que sont Mary Poppins, Merlin l'enchanteur, Pinocchio, le Livre de la jungle... À chacun de leurs nouveaux films, les studios DISNEY

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Entretien paru dans AnimeLand nº 43 (été 1998)
Propos recueillis par Ilan Nguyên
© 1998 AnimeLand / Frédéric Boilet