Frédéric Boilet |
« Un jour, j'ai parlé à Benoît de la gare de Dijon, où je trouvais qu'il y avait matière à huis clos. Pour moi, il suffisait d'y aller pour trouver une histoire. De son côté, Benoît avait dans ses cartons le projet d'un roman qui racontait la rencontre de deux personnes que tout sépare. Nous sommes donc partis pour Dijon le soir du 7 mai avec ces premières notions de croisement et de complémentarité. Très vite, l'histoire de Demi-tour s'est imposée à nous par le seul fait d'être sur les lieux : nous avons écrit la trame complète le lundi, et le mardi l'essentiel était réglé ! Il ne faut pas faire le tour du monde pour écrire des histoires, elles sont là, sous nos yeux. » Temps forts « Bien sûr, nous savions que cette nuit électorale allait être un moment émotionnellement fort, et nous ne sommes pas près de l'oublier puisque Chirac est toujours là. Et quelle que soit notre couleur politique, nous avons eu du mal à comprendre que les jeunes aient voté Chirac en croyant au changement. Mais notre album ne se veut pas militant, nous ne voulons pas susciter une polémique : nous avons d'ailleurs autant de distance vis-à-vis de notre personnage principal masculin Joachim, qui a voté pour le candidat socialiste, que vis-à-vis de son alter ego féminin, Miryam, qui a opté pour Chirac. Débusquer le stéréotype « Benoît et moi partageons une conception de la fiction qui s'apparente par beaucoup d'aspects au reportage, ce qui implique un certain réalisme graphique. Mais je refuse de m'enfermer dans un style particulier qui devient vite une caricature de lui-même. De la même façon que débusquer un stéréotype de scénario permet de susciter l'imaginaire, éviter le "coup de patte" permet au dessinateur de ne pas recourir aux stéréotypes graphiques, ces réponses toutes faites aux problèmes d'expression. Pour moi, l'émotion est dans l'erreur, et pour arriver à cela, j'ai fait en sorte de perdre mes réflexes : en fait, je m'inspire de visages et d'attitudes réels qu'on ne retrouve pas dans un simple dessin exécuté de mémoire. Autobiographie-fiction « Je puise également la matière de nos histoires dans mes propres expériences sentimentales, et cette façon de travailler, parente de l'autobiographie, n'est pas sans danger. Pour qualifier notre collaboration, j'ai d'ailleurs l'habitude de dire que je suis le fou et Benoît le garde-fou. Moi, je vais au devant des gens, des histoires, des aventures. Ce mélange de la fiction et de la réalité est difficile à vivre et a pu faire souffrir mon entourage, victime de mon extravagance de créateur. Benoît agit plutôt comme un regard extérieur et me permet de mieux vivre cette manière de créer de l'autobiographie-fiction. En fait, je préfère le terme de "reportage" à celui d'"autobiographie", puisque ce n'est pas tellement moi qui m'intéresse. Je n'ai tout simplement pas envie de parler de choses que je n'ai pas vécues ou rencontrées. Sur ce point, Benoît et moi sommes d'accord : la réalité a toujours un cran d'avance sur l'imaginaire. » |
![]() ![]() |