Benoît Peeters |
« Notre collaboration pour les deux albums dont le récit se déroule au Japon (Love Hotel et Tôkyô est mon jardin) cherchait à découvrir les signes émis par un pays lointain, d'abord superficiels, puis plus fins. Avec Demi-tour, nous avons eu envie de traiter une matière plus proche, des petits signes de rien du tout, la quintessence du banal, en quelque sorte, d'autant plus que la bande dessinée a du mal à parler du monde d'aujourd'hui. Chacun de nous a apporté sa pierre à l'édifice. Frédéric, à qui il était arrivé d'être en transit en gare de Dijon, avait été frappé par le côté "microcosme" des alentours de cette gare de province. Il y avait là tout un paysage de cafés, d'hôtels, d'avenues, qui en même temps pouvait être perçu comme un grand vide. Bref, un endroit au milieu de nulle part. » Huis clos ferroviaire « Quant à moi, j'ai tout de suite été séduit par l'idée de ne pas sortir de cet espace. Une gare est un lieu d'attente, de croisement, c'est un tournant aussi. On peut s'y sentir très rapidement en état de disponibilité. Raconter le monde d'aujourd'hui « Cette écriture de scénario en temps réel m'a permis d'occuper mon énervement électoral de façon créative (je faisais partie du comité de soutien au candidat socialiste Jospin), d'observer un moment qui, sans être historique, est devenu un jour de référence, et d'essayer d'en tirer parti. Le fait que l'album paraisse près de deux ans après l'élection présidentielle donne à ce jour une saveur semblable à celle du vin qu'on laisse reposer. La narration symétrique « Bien qu'immédiatement accessible, Demi-tour est sans doute l'un des albums les plus "expérimentaux" que nous ayons réalisés. Nous avons joué sur des codes un peu inhabituels en bande dessinée, à la fois dans la construction des pages et dans la mise en couleur, due à Emmanuel Guibert. Le thème donnait envie de suivre nos deux personnages jusqu'au bout et de donner à leur rencontre une allure tout à fait singulière, ce qui supposait un jeu de cases très simple. Nous avons donc adopté le modèle de mise en page à cases régulières, surnommé par Franquin "le gaufrier", en lui donnant un autre sens. Les quelques moments où l'on s'écarte de ce modèle prennent du coup un relief particulier : le lecteur peut en percevoir tout de suite l'importance dramatique. » Le charme du peut-être « Nous avons voulu donner une égalité de chances aux deux personnages, grâce à des petits détails qui leur permettent d'exister. Frédéric a réussi à capter des attitudes, des instants volés, d'une grande justesse. Il s'est permis des arrêts sur image qui donnent une vérité aux personnages. En s'éloignant des représentations souvent stéréotypées des héroïnes de bande dessinée, Frédéric a créé un personnage de jolie jeune femme qui n'est pas un cliché. Nous avons travaillé de la même façon le dialogue, essayé de "faire vrai" sans recourir pour autant au "faux parlé", pour aboutir à un style qui suggère les hésitations et les silences. Un style convenant à nos deux personnages qui sont juste au bord d'une grande histoire d'amour, sous le charme du peut-être. » |