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Casterman 1993 |
Ego comme X 2005 |
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Frédéric Boilet a rapporté du Japon un drôle de voyage au bout de la nuit. À nous les petites Japonaises ? Quand la réalité se déchaîne, le rêve en prend un sacré coup !
Dans Mangazone, on parle généralement de bandes dessinées japonaises. Toutefois, il arrive que paraisse en France une bande dessinée... sur le Japon ! La chose est suffisamment rare pour que nous nous y intéressions. De plus, Love Hotel, que le dessinateur Frédéric Boilet et le scénariste Benoît Peeters viennent de publier aux éditions Casterman, a un cadre contemporain, ce qui est assez inhabituel, les auteurs européens préférant souvent le Japon médiéval. David Martin, jeune fonctionnaire au Ministère de la Jeunesse et des Sports, réussit à se faire envoyer au Japon pour une mission d'études. En fait, David n'a qu'un but : aller retrouver Junko, sa petite amie japonaise. Une fois à Tokyo, il bâcle sa mission pour passer le maximum de temps à Saporro avec sa friponne nippone. Manque de chance, la jolie participe à un jeu télévisé qui se déroule justement à Tokyo. Bref, les deux tourtereaux se verront à peine, David attrapera un rhume et assoiera définitivement sa réputation d'incapable auprès de ses collègues et de ses supérieurs du Ministère. Seule lueur d'espoir de cette odyssée du désastre : David ira attendre à l'aéroport une des lutteuses japonaises entrevues lors de son départ et merveille, il s'en tirera comme un chef et finira la nuit à l'hôtel avec la robuste mais néanmoins charmante personne. Comme souvent chez Frédéric Boilet, le héros vit cruellement le décalage entre l'amour parfait qu'il imagine et une réalité décevante. Junko est pour lui un idéal de pureté, presque une abstraction de l'amour. Pour la retrouver, il affronte un pays hostile dont il parle très mal la langue, le climat rude de Sapporo en plein mois de décembre et la perspective de ruiner complètement sa carrière de fonctionnaire. Il semble rechercher les ennuis et le malheur, comme si ses tribulations devaient d'une certaine façon témoigner de la sincérité de ses sentiments. Mais ses efforts sont bien mal récompensés. Junko, qui se sait filmée par un caméraman du jeu télévisé auquel elle doit participer, reste évasive et enfantine. Il est clair que cette gamine d'à peine 17 ans joue à l'amour. À l'opposé, David, fragilisé peut-être par la mort récente de sa mère - à moins que cet événement ne lui ait fait prendre conscience de sa propre mortalité - cherche dans la relation intensité et profondeur. Boilet travaille son dessin d'après photos - comme Romain Slocombe, ce qui donne une ressemblance frappante à leurs jeunes japonaises - et le pays d'images qu'est le Japon ne pouvait que le fasciner. Son récit s'appuie sur plusieurs séjours au Japon. Love Hotel est une moisson d'images passées au tamis d'un univers très personnel. Photos, bandes dessinées, images de télévision sont réarrangées en une mosaïque de taches noires et blanches. Mais l'image finale qui émerge est la même à Paris et à Sapporo, de même que David affalé sur la table d'un McDonald est le même à Paris et à Sapporo. C'est celle de la boule de neige de Venise. L'image d'un amour impossible parce que celui qui le cherche ne souhaite peut-être pas vraiment le trouver mais seulement le rêver. Article de Jean-Paul Jennequin |
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