Tonari no Onna,
(la Femme d'à côté) :
un autre des nombreux
chefs-d'œuvre de
Yoshiharu TSUGE
Dans New Hotel Kamagasaki
de Sen ARIMURA,
Kamayan quitte le Japon
pour découvrir les lieux
de pauvreté du reste
du monde
Entretien avec
Frédéric Boilet
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inventaient quelque chose, se surpassaient, et ces dessins animés de mon enfance ne m'ont jamais vraiment quitté, ils sont là, au fond de moi, précieux, inoubliables...
Les choses se sont malheureusement gâtées vers la fin des années 70. Je vis encore avec plaisir les Aristochats, mais le dessin animé suivant Bernard et Bianca fut une déception, puis Robin des Bois une catastrophe. Ils devaient marquer la fin d'une époque... La machine à inventer s'était brusquement grippée, elle se recroquevillait sur des recettes, des tics. Chaque nouveau DISNEY des années 80 semblait une caricature du précédent et sombrait un peu plus dans la mièvrerie.
Il m'a fallu la sortie de Brisby et le secret de Nihm du dissident Don BLUTH, vers 85, pour me réjouir à nouveau à la projection d'un long métrage d'animation. Les studios DISNEY, sans doute piqués au vif, se devaient de réagir : ils sortirent l'année suivante un formidable Basil, détective privé qui, certes, puisait pas mal dans Brisby, mais quel plaisir de revoir enfin un bon DISNEY !
Plaisir furtif et malheureusement jamais renouvelé depuis (sinon tout récemment avec Toy Story), DISNEY a vite retrouvé pour ne plus la quitter, l'ornière des poncifs et de la miévrerie, où il fut rejoint par Don BLUTH dès son second film, le stupidissime Fievel et le Nouveau Monde.
Dix nouvelles années se sont écoulées, mais cela en valait la peine : l'émotion, cette fois, a dépassé tout ce que je pouvais imaginer. En 1995, j'ai vu le Tombeau des Lucioles d'Isao TAKAHATA, dans une salle à Paris, et je n'en suis pas revenu ! Tout est si formidable dans cette œuvre, qu'il m'est impossible d'en parler en quelques lignes sans l'abîmer. Deux toutes petites choses, peut-être, qui rejoignent mes préoccupations et mes désirs... La première est que le Tombeau des Lucioles est une preuve éclatante, celle que le cinéma d'animation n'est pas un genre réservé aux enfants et aux
adolescents : on peut le faire sortir, et brillamment, des cadres et des codes extrêmement étroits dans lesquels les créateurs, les producteurs, les distributeurs et sans aucun doute malheureusement les spectateurs l'ont confiné. Une seconde chose est que le Tombeau des Lucioles, mais aussi le plus récent Omohide poroporo du même TAKAHATA et Mimi o sumaseba de Yoshifumi KONDÔ, ouvrent la voie d'un cinéma d'animation de grande distribution mature et confiant, qui ne craint plus de se passer du fatras fantastique, magiciens, robots, monstres, petits nains, belles princesses, et tord le cou à cette fatalité de récits manichéens et puérils, un cinéma qui s'attache à restituer une réalité, celle de notre monde subtil et complexe car peuplé de gens comme vous et moi, ni bons ni méchants, simplement humains...
Mais je ne me fais pas trop d'illusions, le Tombeau des Lucioles
n'aura pas mis moins de huit années avant d'être distribué dans l'Hexagone, et encore, dans un circuit très restreint de deux salles à Paris, et quelques rares villes en province. Quant aux deux autres dessins animés, ils ne sont toujours pas distribués en France. Le marché du cinéma d'animation de long métrage, qu'il soit américain ou japonais, n'est pas prêt de quitter sa confortable ornière. Néanmoins, TAKAHATA a ouvert une voie passionnante, qui m'intéresse peut-être même en tant que créateur : de même que j'ai le sentiment de faire les bandes dessinés que j'aimerais lire, tout simplement parce que personne ne les fait pour moi, il est possible qu'un jour j'en vienne à tenter de faire le dessin animé que j'aimerais voir... Si personne ne l'a fait d'ici là !

Entretien réalisé
par Ilan Nguyên

Parcours
Frédéric BOILET fait ses premiers pas dans la BD grand-public au début des années 80. Il publie en 83 la Nuit des Archées (scénario G. DEFFEYES) chez Bayard-Presse, puis les deux volumes des Veines de l'Occident (scénario R. DURAND) chez Glénat en 85 et 88. Il devient son propre scénariste en 1987 avec le Rayon vert, publié chez Magic Strip, un ouvrage qui marque un tournant dans sa carrière. Dès lors, BOILET s'attache à une BD plus ambitieuse et ne la quittera plus. En 1990, il publie 36 15 Alexia, un second album en solo très remarqué chez les Humanoïdes Associés, et entame une collaboration fructueuse avec Benoît PEETERS. Ensemble, ils réalisent trois excellents ouvrages : Love Hotel (Casterman, 1993), qui décrit, au-delà des clichés, les premières impressions (et les déboires) de David Martin avec le Japon moderne, Tôkyô est mon jardin (Casterman, 1997, prix de la presse au festival de Sierre), qui explore le vécu de ce même Français, cette fois bien installé à Tôkyô et pétri d'une connaissance profonde et attendrie du Japon au quotidien, et Demi-tour (Dupuis, collection Aire libre, 1997), qui raconte l'amusante rencontre de Miryam et Joachim, un soir presque magique de Présidentielles sur la place de la gare de Dijon...
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Entretien paru dans AnimeLand nº 43 (été 1998)
Propos recueillis par Ilan Nguyên
© 1998 AnimeLand / Frédéric Boilet